Carreaux d’un blanc éclatant, néons et tables laquées : dans l’ancien garage de son pavillon retapé en petit salon de beauté, Jessica Perrin assure recevoir jusqu’à huit clientes par jour pour vernir et décorer leurs ongles, ou leur en poser des artificiels, longs de plusieurs centimètres, à base d’acrygel.
Installée depuis 2016 à Soussans (Gironde), bourgade de 1.700 habitants dans le Médoc, territoire rural à 50 minutes au nord-ouest de Bordeaux, cette prothésiste ongulaire explique avoir investi moins de 5.000 euros pour se lancer. Et vivre "confortablement" de son activité, sans débourser de loyer commercial. "Mais depuis le Covid, c’est plus compliqué, ça a ouvert de partout", relève la jeune entrepreneuse, "sans diplôme" mais ayant effectué des "formations privées" certifiantes.
Dans de petites communes alentour rassemblant moins de 9.000 habitants, l’AFP a en effet décompté onze centres de beauté dédiés aux ongles, soit plus que de boulangeries ouvertes dans cette zone viticole et pauvre.
"Miroir aux alouettes"
Selon la branche locale de l’Adie, l’Association pour le droit à l’initiative économique, spécialisée dans le micro-crédit à la création d’entreprise, les projets autour de l’ongle présentés dans ce territoire par de jeunes femmes non diplômées caracolent en tête des demandes de financement, avec les food-trucks et les petites sociétés de multi-services en jardinerie chez les hommes.
À l’échelle du pays, plus de 15.000 entreprises de "soins de beauté" ont été créées l’an dernier, dopées par l’engouement du "nail art", un record dans le secteur du commerce de détail d’après l’Insee.
Pour Régine Ferrere, présidente de la Confédération nationale de l’esthétique et parfumerie, sous son vernis d’eldorado, le marché de l’ongle incarne surtout un "miroir aux alouettes", avec "plus d’indépendants qui crèvent que de succès", en particulier "dans les petites villes et la ruralité".
Reste que "la demande est énorme", souligne la patronne des syndicats des professionnels de la beauté. Elle l’explique par le déclin du maquillage des lèvres, "remplacé" par celui "du regard" et par les soins des mains, devenues "un point d’attractivité" pour les yeux, en particulier quand les doigts sont "constamment sur le téléphone".
Arrivé en France au mitan des années 2010, le "nail art" a été popularisé par les réseaux sociaux, puis ancré par le Covid et ses périodes de confinement, masquées et propices aux tutoriels internet du "faire soi-même", racontent des professionnelles du milieu.
Selon l’enseignante-chercheuse en marketing Johanna Volpert, les clientes du secteur de la beauté cherchent d’abord "la proximité géographique, la relation humaine et le talent" et pour cela "le bouche-à-oreille prime", "pas nécessairement le diplôme".
"Marketing do it yourself"
Boostées par un "marketing do it yourself ultra visuel, posté sur TikTok ou Instagram", ces indépendantes de la GenZ (génération née au début des années 2000), "à l’esprit entrepreneurial très fort", qui ouvrent de petits centres ou proposent des soins dédiés à domicile ou dans des salons de coiffure, représentent aujourd’hui 90% de ce marché florissant.
Mais une polémique sur l’hygiène, un soin mal fait ou un produit non conforme peut vite installer "un préjugé toujours difficile à effacer", met en garde cette professeure à Kedge Business School, l’école de management de Bordeaux.
Pour s’en prémunir, les poids lourds du secteur réclament à l’État de reconnaître la filière comme "un vrai métier", avec "une vraie réglementation", interpelle Angélique Gascoin, PDG de L’Onglerie. Cet historique fabricant et distributeur de produits cosmétiques, avec une centaine de magasins franchisés, vient d’ouvrir le premier CFA (centre de formation des apprentis) français dédié uniquement aux métiers de l’ongle à Canéjan, en périphérie bordelaise.
Selon les estimations de la dirigeante, les soins de beauté des ongles et des mains devraient bientôt dépasser 40% des parts du marché national de l’esthétique, évalué à deux milliards d’euros.