Expérience suivie de près au moment où la communauté internationale peine à s’accorder sur un premier traité contre la pollution plastique, la loi sur la "responsabilité élargie du producteur" (Extended Producer Responsibility - EPR) [1] est entrée en vigueur l’année dernière. Elle fait des Philippines la première nation en Asie du Sud-Est à imposer des pénalités aux entreprises pour leurs déchets plastiques.

Vers la « neutralité plastique »

Le défi est considérable. Selon la Banque mondiale, les Philippines, qui comptent environ 120 millions d’habitants, produisent chaque année quelque 1,7 million de tonnes de déchets plastiques. Un tiers de ces déchets sont acheminés vers des décharges et dépotoirs prévus à cet effet, mais 35% sont abandonnés dans la nature.

La loi vise à atteindre la neutralité plastique en obligeant les grandes entreprises à prendre en charge l’élimination de 20% de leur empreinte plastique, un seuil qui sera porté à 80% à l’horizon 2028. Les entreprises peuvent le faire en modifiant à la base leur processus de production pour utiliser moins de plastique, ou en éliminant de l’environnement des quantités équivalentes de déchets.

Ces obligations peuvent être confiées à des organisations tierces dont beaucoup utilisent un mécanisme de "crédits plastiques". Ceux-ci permettent aux entreprises d’acheter un certificat attestant qu’une tonne de plastique a été retirée de l’environnement pour être recyclée, réutilisée ou incinérée pour produire de l’énergie.

Crédits compensatoires

PCX Solutions, l’un des principaux acteurs de ce nouveau marché, propose des crédits locaux d’un montant d’environ 100 dollars pour la collecte de déchets plastiques, pouvant aller jusqu’à 500 dollars pour ceux qui ont un risque de terminer dans l’océan.

Ce projet vise à rediriger de l’argent vers le secteur du traitement des déchets, et à encourager la collecte du plastique dont le recyclage n’est pas intéressant sur le plan économique.

"C’est une manne tombée du ciel", assure à l’AFP Marita Blanco, ancienne éboueuse.

Veuve et mère de cinq enfants, Marita Blanco, habitante du quartier défavorisé de San Andres dans la capitale Manille, achète des bouteilles en plastique, du polystyrène et des emballages de bonbons pour deux pesos (environ 3 centimes d’euros) le kilogramme. Elle les vend ensuite avec 25% plus cher à l’organisation caritative américaine Friends of Hope, qui travaille avec PCX Solutions pour les traiter.

Parmi les acheteurs de crédits, se trouve notamment la multinationale américaine spécialisée dans la production de biscuits Mondelez, qui a choisi de passer directement à la "compensation" de 100% de son empreinte plastique.

"Cela coûte de l’argent à l’entreprise (...) mais c’est vraiment un geste que nous avons décidé de faire pour l’environnement", a indiqué à l’AFP Caitlin Punzalan, l’une des dirigeantes du groupe aux Philippines.

Mais si les entreprises se pressent pour acheter des crédits, la production de nouveaux plastiques elle-même n’a pas diminué.

"Ce n’est vraiment pas facile de réduire en amont", relève Stefanie Beitien, directrice générale de PCX Solutions. "Aucun service d’approvisionnement au monde n’accepte un prix d’emballage plus élevé de 20% simplement parce que c’est la bonne chose à faire".

Changements "très lents"

Et si la loi couvre un large éventail de plastiques, elle n’interdit pas l’usage de ceux à usage unique, difficiles à recycler, tels les sachets d’emballage utilisés massivement aux Philippines.

"Les changements de comportement sont très lents et prennent beaucoup de temps" mais ils sont visibles, "il y a deux ans, je pense que vous auriez vu une rue beaucoup plus sale", relève Ilusion Farias, directrice générale de l’ONG Friends of Hope.

Jusqu’à présent, plus de la moitié des entreprises concernées par la loi ont mis en oeuvre des programmes tels qu’imposés par la nouvelle loi. Plus d’un millier d’autres doivent suivre avant la fin de l’année, sous peine de se voir infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 20 millions de pesos (343.000 dollars), voire de se faire retirer leur autorisation de fonctionner.

La loi a déjà permis de retirer 486.000 tonnes de déchets plastiques de l’environnement l’année dernière, soit plus que l’objectif initial, a précisé à l’AFP le Sous-Secrétaire à l’Environnement Jonas Leones.

Si les crédits de compensation ne peuvent pas être obtenus pour le plastique mis en décharge, ils permettent toutefois de brûler les déchets récoltés, les cendres étant ensuite utilisées pour le ciment.

« Cela reste linéaire, pas circulaire, parce que vous détruisez le plastique et vous continuez à générer du plastique vierge », reconnaît le Sous-Secrétaire.

Floradema Eleazar, fonctionnaire du programme des Nations unies pour le développement, y voit une "politique très forte". Mais, ajoute-t-elle, "nous ne verrons pas d’effets immédiats maintenant ou demain" et "il faudrait un changement de comportement vraiment majeur de la part de tout le monde pour s’assurer que cela se produise".