Avec son cortège de déréférencements en grande distribution et de fermetures de points de vente spécialisés, la période de forte inflation qui a suivi la pandémie a bousculé le segment de la cosmétique bio et naturelle. Cet automne, l’annonce de la fin du label Slow Cosmétique et l’abandon par La Provençale (L’Oréal) de la certification bio pour ses nouveaux lancements ont sonné comme deux nouveaux coups de semonce. Pourtant, malgré des budgets contraints et des achats toujours plus réfléchis, les consommateurs continuent de plébisciter des produits perçus comme meilleurs pour leur santé.
Trajectoires divergentes
Selon Xerfi, le marché de la cosmétique bio et naturelle en France est marqué par les trajectoires divergentes de ses deux composantes. D’après les estimations de la société d’études, les cosmétiques naturels ont vu leurs ventes en grande distribution (GSA) augmenter de 5,4% en volume en 2023. En revanche, celles des cosmétiques labellisés bio ont reculé de 3,3% sur la même période. Un différentiel principalement dû aux écarts de prix entre les deux catégories.
« Les produits bio affichent un indice de prix moyen de 120, tandis que les produits naturels se situent à 86 », explique Benoît Samarcq, directeur d’études chez Xerfi Intelligence Stratégique.
L’arbitrage en faveur de l’option la moins chère est d’autant plus massif que la promesse de de la cosmétique naturelle apparaît finalement assez similaire à celle du bio.
Selon une enquête de Cosmébio, l’association qui porte l’un des principaux labels français, le bio reste souvent préféré pour les produits sans rinçage (crèmes, sérums), en contact prolongé avec la peau. En revanche, pour les produits à rincer (savons, shampoings), la priorité va plutôt à la naturalité.
Damien Sineau, le président de Cosmébio, réfute par ailleurs l’idée selon laquelle la cosmétique bio serait obligatoirement plus chère. Selon lui, « il y a des produits bio à tous les prix ».
Le bio, moteur de croissance en pharmacie
Si, en France, la distribution des cosmétiques bio et naturels reste dominée par la grande distribution (53% du marché en valeur selon Xerfi), ce sont les pharmacies et parapharmacies (22% du marché) qui connaissent les taux de croissance les plus importants.
Les ventes de dermocosmétiques ont progressé de 20% en valeur entre 2019 et 2023 dans le circuit pharmaceutique. Pour Damien Sineau, les produits bio ont largement stimulé la croissance des ventes sur conseil pharmaceutique. Ainsi, la marque bio La Rosée, qui s’est développée quasi exclusivement en pharmacies et parapharmacies, a enregistré en 2023 une progression de 40% !
« Ce sont les pharmacies qui affichent la plus forte dynamique, avec une prédominance des produits de soin », souligne M. Samarcq. Un succès qui stimule les appétits ! Les marques Melvita (Groupe L’Occitane) et Respire ont ainsi annoncé fin 2023 leur ambition de doubler leurs points de vente en pharmacies.
Mais les attentes sur ce circuit sont très spécifiques. « En France, 40% des consommateurs achètent des cosmétiques en pharmacie, où ils recherchent des formules plus techniques, des produits rassurants et du conseil. Les produits solaires et pour les bébés fonctionnent très bien par exemple sur ce canal », affirme le président de Cosmébio.
De leur côté, les magasins bio, qui captent encore 25% des ventes, ont cédé du terrain, fermant près de 400 points de vente depuis fin 2023.
L’impératif de l’innovation
Selon Xerfi, le marché de la cosmétique bio et naturelle devrait continuer à croître, mais à un rythme plus modéré. « On est loin des taux à deux chiffres qu’a pu connaître le marché », affirme Benoît Samarcq. Les projections indiquent une progression de 5% par an en moyenne, qui devrait conduire le marché français à 1,2 milliards d’euros d’ici 2026 (contre 1,1 milliard en 2024).
Pour Benoît Samarcq, la croissance du segment passera par des innovations en matière de formulation et par un développement de l’offre dans tous les circuits de distribution. Cette démocratisation devra s’accompagner d’un souci accru de transparence et de qualité. En effet, la naturalité se généralisant elle ne suffira plus à convaincre les consommateurs.
Chez Xerfi on observe d’ailleurs que, « les grandes marques de luxe ne se positionnent pas du tout sur le segment bio, et assez peu sur le naturel ». Si, dans les faits, la naturalité des formules progresse également dans le haut de gamme, elle n’est pas le seul critère. La notoriété de la marque et l’innovation technique restent essentiels.
Si les préoccupations pour l’environnement et la santé continuent à monter en puissance dans les motivations d’achat des consommateurs, Euromonitor souligne dans un récent rapport que la qualité, la fonctionnalité et le prix restent des éléments majeurs dans un contexte marqué par la hausse du coût de la vie.
En résumé, portée par des tendances de fond favorables, la cosmétique bio et naturelle devrait poursuivre sa croissance. Les marques bio sont toutefois victimes d’arbitrages qui les contraignent à davantage d’innovation et à un déplacement vers de nouveaux circuits de distribution où les places vont devenir de plus en plus chères.
Plus généralement, pour éviter un essoufflement du marché, toutes les marques devront tenter de se démarquer en matière d’authenticité, de qualité et d’efficacité. Un défi d’autant plus complexe que la concurrence s’intensifie et que les critères de choix en matière de beauté se diversifient. Les marques qui sauront concilier éthique, efficacité et accessibilité auront une longueur d’avance.