À Busan en Corée du Sud, où se tiennent les négociations censées déboucher dimanche sur le premier traité international contre la pollution plastique, les industriels – producteurs comme utilisateurs — sont très présents dans les allées du Palais des expositions qui accueille les diplomates. Mais avec des visions très différentes. Pour l’industrie automobile, le plastique est vital : il allège le poids des voitures et permet de réduire les émissions de CO2 du secteur. Dans l’agroalimentaire ou les cosmétiques, on tente de le remplacer, mais il reste omniprésent pour l’emballage.

Les représentants de l’industrie bénéficient d’un statut d’observateur, au même titre que les ONG environnementales qui dénoncent les dommages créés par le trop plein de plastique sur la planète.

Trois groupes se sont constitués. Tous demandent un traité sur le plastique. Deux ne sont pas opposés à une limitation de la production, un des points de blocage des discussions entre diplomates. Le troisième, proche de la pétrochimie et de l’industrie automobile, s’oppose fermement à toute limitation de production dans le traité ou restriction d’utilisation de certaines molécules ou additifs.

Disponibilité du plastique vierge

« Nous sommes très dépendants du plastique pour la sécurité, la durabilité mais aussi pour réduire l’empreinte carbone du secteur, pour raisons environnementales », explique ainsi à l’AFP Mark Bacchus, représentant de Toyota, présent à Busan.

Le plastique permet notamment d’alléger les carrosseries et châssis alourdis par les batteries qui équipent les voitures électriques de la transition énergétique. « Si nous avons un scénario où le plastique vierge est moins disponible, cela va causer un très gros problème » à l’industrie automobile, qui ne sait pas très bien encore utiliser le plastique recyclé, avertit M. Bacchus. Les résines sophistiquées qu’elle utilise résistent aux chocs ou aux fortes températures et doivent répondre à des normes de sécurité élevées.

Le Conseil international des associations chimiques (ICCA), sorte de lobby mondial de l’industrie chimique, refuse aussi toute coupe dans la production de plastique vierge, et propose essentiellement le recyclage comme solution au problème des déchets plastiques.

« Champions du changement »

En face de ce bloc, l’ONG Greenpeace a réuni une coalition de 350 entreprises baptisées "Champions du changement" qui demande d’urgence un "traité fort sur le plastique" comprenant des baisses de production.

Il s’agit souvent de petites entreprises ou de restaurants, proches des consommateurs, sur les cinq continents. Les enseignes les plus connues de cette alliance sont le distributeur de produits cosmétiques Lush ou les glaces Ben and Jerry’s (Unilever).

« L’augmentation exponentielle de la production de plastique n’est pas durable du tout », explique à l’AFP Louise Edge, stratégiste chargée des campagnes plastique chez Greenpeace à Londres.

L’alliance demande « le développement d’infrastructures permettant la réutilisation », et surtout « la suppression de tous les plastiques à usage unique », à commencer par les sachets individuels de lessive, de shampoing ou de boisson, très en vogue en Asie ou en Afrique.

Au-delà du recyclage ?

De son côté, la Business Coalition for a Global Plastics Treaty, une alliance de 300 grands groupes en faveur d’un traité mondial sur le plastique, comprend de gros utilisateurs de plastique dans l’agroalimentaire ou les cosmétiques (L’Oréal, Unilever, Nestlé, Coca Cola...), la grande consommation et le textile (Ikea, Lego, H&M, Decathlon...)

Principale coalition industrielle, réunie par la Fondation Ellen MacArthur de défense des océans, la coalition demande d’abord des régulations mondiales sur les plastiques, juge que le recyclage seul ne règlera pas tous les problèmes, et se dit prête à envisager un niveau de production "durable", sans donner de chiffre.

Illustration de ces tiraillements : alors que le géant des savons et lessives Unilever fait l’objet d’une campagne ciblée depuis fin 2023 menée par Greenpeace contre ses emballages plastique, son ancien PDG, le Néerlandais Paul Polman, a appelé cette semaine sur les réseaux sociaux à « agir de manière décisive pour parvenir à un traité mondial sur le plastique ».

« L’industrie ne peut pas arriver seule » à réduire les volumes de production, « nous avons besoin qu’une législation multilatérale soit mise en place » explique Jodie Roussell, responsable de la communication pour le secteur de l’emballage chez Nestlé.

Politiques publiques

Selon une étude de l’Université de Californie publiée dans la revue Science [1], une série de politiques publiques – incluant l’investissement dans les infrastructures de gestion des déchets, le plafonnement de la production de plastique aux niveaux de 2020, des mesures financières comme une taxe sur le packaging, et l’obligation pour tous les nouveaux produits de contenir au moins 40% de plastique recyclé – permettraient une réduction massive des rejets dans l’environnement.

Ces quatre mesures « ne sont en aucun cas la panacée pour résoudre l’énorme problème de la pollution plastique », explique Neil Nathan, de l’Université de Californie. Mais appliquées simultanément, elles réduiraient de 91%, à 11 millions de tonnes, la quantité des déchets plastiques mal gérés chaque année d’ici 2050, par rapport aux 121 millions de tonnes qui seraient atteintes à la même date si rien n’était fait.